Le Croque-notes à l'école des sorciers (retour sur la deuxième édition).

Je tiens cette histoire de mon arrière-grand-oncle ; lui-même l'avait entendue d'un collègue à l'époque où il travaillait sur les docks à Amsterdam. Il paraît que le collègue en question avait un jour croisé un mec sombre, les yeux jaunes luisant dans le capuchon qui dissimulait son visage. Toute la nuit il lui aurait parlé de ces réunions secrètes, oubliées, devenues légende ; ces assemblées tonitruantes, ces sabbats, ces bacchanales : les Croque-Notes. Et entre toutes, c'est l'édition du 14 décembre 1895 qui reste gravée dans ma mémoire.

Pour ne pas éveiller les soupçons, le mestre archiviste faisait passer les conjurés sous le porche de la médiathèque, puis il ouvrait une porte dérobée (un portail dimensionnel ?) donnant sur l'Espace Num et Rik ; une caverne bien équipée, remplie de machines-à-penser-toutes-seules, et d'un écran presque aussi grand que celui du Gaumont-Palace.

Assis en cercle, « religieusement », les esgourdes ouvertes autant que l'esprit, ils étaient prêts à tout entendre ; vraiment ? Même de la musique délibérément mauvaise ? La séance s'ouvrit sur une version « shred » de Get around des Beach Boys. Par « shred » comprenez mal jouée intentionnellement.

Le doute était semé parmi les nouveaux : « on ne serait pas en train de se moquer de nous ? », « c'est un bizutage ? ». Mais non, la suite c'était du sérieux (ou presque, parce que le chanteur du groupe suivant a un potentiel comique non négligeable...). D'une pression du doigt sur un interrupteur de sa machine diabolique, le mestre archiviste envoya l'image sur l'écran et le son dans leurs oreilles : Kultur Shock, un groupe qui combine de la musique folk des Balkans, du punk et du métal. Sans cesse en déplacement, en concert en Europe ou aux États-Unis.

 

Christian, l'initié, prit la parole pour présenter un live aux nuits de Fourvière d'Anoushka Shankar, fille de Ravi et sitariste.

Écoutez notamment de 44,35 à 48,48.

 

Cécile, quant à elle était venue chargée, son baluchon de cuir rempli de sons fascinants. Quant elle délia le lacet qui le tenait fermé, le piano du jazzman Roberto Fonseca s'en échappa :

Un homme étonnant Roberto, il incarne la musique autant qu'il la joue.

Dans le sac de Cécile, derrière Fonseca, le duo Piers Faccini Vincent Ségal attendait son tour ; le violoncelle et la voix de l'homme se mêlaient au chant des oiseaux, au bruissement des feuilles d'arbres.

 

Au fond du baluchon, avant même qu'on aille l'y cueillir, on entendait chanter Rebecca Martin :

 

Tout au long de la soirée, les participants allaient sortir de leurs sacs des voix, des instruments, des mélodies, et certains avaient même amené de quoi manger. Une table débordant de jus d'orange, de tarte aux pommes, de cakes fut dressée. On dit même, mais je n'ose y croire, que Christian aurait apporté des petits fromages de chèvre aux pruneaux enrobés de jambon cru ; une recette qu'il aurait volée au Dieu Bacchus lui-même.

 

Christophe, disciple nouvellement arrivé, force tranquille, comptait bien faire entendre sa voix dans l'assemblée – ou à défaut de sa voix, celle de la chanteuse du groupe Musica Nuda. Voici donc Non andare via, une belle reprise de Brel.

Emporté par son élan, Christophe sortit de son chapeau haut-de-forme le titre Caféine du groupe Minuit.

Les membres de l'assemblée reconnurent-ils les voix des enfants de Catherine Ringer ? Je ne le saurai sans doute jamais.

Puis Christophe se leva et dit : « Vous connaissez la harpe ? Vous connaissez la guitare ? Et bien voici la harpe-guitare ! » On raconte que pour créer ce nouvel instrument il n'eut qu'à prononcer cette formule : « Andy Mc Kee, Gate of Gnomeria ! ».

 

Alors que l'assemblée était encore sous le choc, un Henry Purcell sauvage voleta dans la salle en faisant retentir son chant caractéristique : « Fantasias for the viols ».

 

(à partir de 7,57)

 

Cet instant de légèreté passé, Christine fit montre de son engagement musical avec une version live du Dos-miné des Ogres de Barback.

Clément s'y entendait fort bien en groupes engagés :

Qu'ils soient québécois comme Mes aïeux

Rappeur comme Soprano

Ou accordéoniste comme Christian Paccoud

Personnage incroyable que ce Mr Paccoud, excellent parolier, auteur engagé, metteur en scène, interprète de chansons écrites par le dramaturge Novarina. En voici une autre :

 

Le mestre archiviste se leva pour dégager la malle aux fermoirs rouillés sur laquelle il était assis. Il la poussa au centre de la salle dans un raclement sinistre. Alors qu'il allait glisser la clé dans la serrure, la malle s'ouvrit d'elle-même et une cacophonie de morceaux en sortit. Dans ce tumulte on parvenait à discerner le groupe français Odezenne … inclassable.

On entendait aussi Rone et son électro planante :

Et même du rock psyché mélangé à de la musique Thaï avec Yodh Song de Limousine :

 

Enfin, Christian l'Infatigable refusa de laisser partir quiconque n'aurait pas dansé et ri sur la musique de Pokey Lafarge :

et de Sarah Savoy :

 

Voilà mes amis, comment s'acheva cette deuxième édition du Croque-notes – du moins selon l'homme que le collègue de mon arrière-grand-oncle avait rencontré dans une taverne néerlandaise. Peut-être qu'il y a eu moins de tours de magie, moins de rituels secrets ; peut-être que cette édition a eu lieu le 14 décembre 2015. Mais la musique, elle, était bien réelle et ça fait rêver...